Le NFT le plus cher de tous les temps, pour 21 millions de Bitcoin
(ou bien pour un Ğ1 symbolique)
Ce NFT s’appelle “GP/Mbone”. Il est en vente ici. Mais avant de vous ruer pour l’acheter, il faut comprendre pourquoi cette idée est à la fois stupide et pertinente. Reprenons les termes de l’affaire. Que signifient NFT, GP, Mbone, GP/Mbone, Bitcoin et Ğ1 ?
NFT (Non Fungible Token)
Un NFT est un titre de propriété virtuel d’une œuvre d’art enregistré dans une sorte de livre de comptes distribué sur l’internet (une chaîne de blocs, ou blockchain). Ce titre ne donne aucun droit sur l’œuvre elle-même qui reste disponible pour tout le monde. Le NFT le plus cher de tous les temps, avant GP/Mbone dont il est question ici, était celui de l’œuvre “Everydays: the First 5000 days” de l’artiste Beeple, un simple collage réalisé sur Photoshop vendu pour 69,3 millions de dollar chez Christie’s en mars 2021.
C’est stupide ? Oui mais c’est comme ça.
GP
GP signifie ”Générateur poïétique”. Le GP un un jeu artistique collectif que j’ai imaginé en 1986. Il se pratique en temps réel sur un réseau permettant à plusieurs dizaines, centaines ou milliers de participants, de composer simultanément une image évolutive où chacun peut repérer sa contribution (vous pouvez y jouer ou en voir les enregistrements vidéo sur Youtube). Le GP est connu comme l’une des premières œuvres d’art en réseau. Il est conçu depuis son origine comme une expérience à caractère à la fois artistique (copyleft) et scientifique (openscience) qui n’a jamais prétendu faire de l’argent. Le GP a été copié maladroitement de multiples fois par des jeux commerciaux, en particulier en 2017 par Reddit/place. Cependant, il y a des différences importantes entre les deux jeux. L’algorithme de Reddit/place est opaque et manipulatoire, contrairement à celui du GP qui est transparent et ouvert. Je l’explique ici.
C’est stupide ? Oui mais c’est comme ça.
Mbone
Mbone signifie “Multicast Backbone”. Il s’agit d‘un sous réseau de l’internet qui a expérimenté entre 1995 et 1997 en parallèle du Web apparu peu de temps avant. Le Mbone fonctionnait de manière complètement distribuée grâce à un protocole dit “Multicast”, contrairement au web qui fonctionne avec un protocole dit “Unicast” impliquant une certaine centralisation du réseau et nécessitant des centres serveurs. Le Mbone a été abandonné en 1997 au profit du Web pour des raisons essentiellement politiques et commerciales. L’irruption à partir des années 2000 des monopoles tels Google, Facebook, etc. est une conséquence directe de cette malheureuse décision. Il faut noter que le protocole Multicast existe toujours dans l’internet mais les opérateurs de télécommunication ne l’utilisent que pour leur besoins internes et ne l’ouvrent en aucun cas directement à leurs utilisateurs. Plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter de s’affranchir des centres, en particulier les protocoles pair-à-pair BitTorrent (2001) et bitcoin (2009) qui, bien que s’appuyant sur la structure Unicast de l’internet, recréent une certaine distribution. C’est le cas aussi aujourd’hui du protocole NuNet qui tente de connecter et d’utiliser la formidable puissance de calcul des ordinateurs personnels et des appareils mobiles pour faire fonctionner des Intelligences Artificielles Open Source s’opposant aux IAs centralisées (OpenAI, BING, Google BARD, etc.). Malheureusement, ces initiatives en faveur d’un internet distribué sont souvent combattues par les gouvernement et les institutions qui par ailleurs se plaignent de l’emprise des Géants du net.
C’est stupide ? Oui mais c’est comme ça.
GP/Mbone
GP/Mbone désigne la première expérience du Générateur poïétique sur le Multicast Backbone qui s’est déroulée en 1996. Cette expérience a apporté la démonstration qu’il est possible de rassembler un collectif interagissant en temps réel en réseau sans l’intermédiaire d’un quelconque centre. Un groupe humain sans aucun intermédiaire entre ses membres (et à l’échelle de la planète !), avait-on vu ça avant ? Non ! GP/Mbone désigne aussi l’enregistrement des interactions pendant cette première expérience. L’image (le Gif animé en haut de cet article) comprend jusqu’à sept personnes agissant depuis, Paris, Séoul, Londres, San Francisco, Tokyo, etc. suite à mon appel sur le “session directory”, c’est-à-dire le menu distribué du Mbone qui mentionnait au même moment d’autres sessions en direct depuis la station spatiale internationale ou bien la Maison Blanche. Malheureusement, tout cela est passé complétement inaperçu des médias et du grand public à l’époque, et même de beaucoup de spécialistes.
C’est stupide ? Oui mais c’est comme ça.
Bitcoin
Bitcoin désigne la célèbre cryptomonnaie fondée sur le protocole bitcoin dont nous avons déjà parlé. Elle est crée par “minage”, c’est-à-dire par un calcul au prix d’une gigantesque dépense d’énergie. Le nombre d’unité Bitcoin qu’il est théoriquement possible de miner est fixé par l’algorithme à 21 millions et ce montant est déjà presque atteint. Bitcoin est essentiellement une valeur spéculative. Son prix en dollar varie au gré des soubresauts géopolitiques. Il ne repose sur aucune valeur tangible si ce n’est sa rareté artificielle et la sécurité de son protocole distribué garantissant à tous les membres de garder ou de d’échanger leurs unités comme bon leur semble. Cependant, un des principaux reproche fait à Bitcoin est l’extrême disparité de fortune entre ses détenteurs, ls premiers entrants ayant été favorisés au détriments des suivants selon le mécanisme bien connu des pyramides de Ponzi.
C’est stupide ? Oui mais c’est comme ça.
Alors pourquoi est-il pertinent de réclamer 21 millions de Bitcoin pour mon NFT ?
Eh bien parce que ce NFT, ou plutôt l’expérience qu’il rappelle, contient un secret ; un secret qui, un jour, devrait ne plus en être un pour personne.
Ce secret porte sur les mécanismes qui gouvernent les réseaux et plus généralement les groupes humains quels qu’ils soient dès lors qu’ils agissent par l’intermédiaire d’un réseau artificiel quelconque. On peut le résumer ainsi : il existe des perspectives propres aux réseaux, analogues à la perspective spatiale (optique) de la Renaissance. Dans le cas des réseaux, ces perspectives ne sont pas visibles, elles sont “anoptiques”. Néanmoins elles sont bien tangibles car elles impliquent, non seulement la vision, mais toutes nos capacités cognitives. Le point crucial est que, de même que l’on a pu concevoir à la Renaissance une “construction légitime” de la perspective optique en se fondant sur des principes géométriques, il est possible de construire aujourd’hui des perspectives anoptiques légitimes en s’appuyant sur des critères cognitifs. La conséquence de cela est que les réseaux qui ne sont pas construits selon ces critères de légitimité sont amenés à s’effondrer un jour au l’autre pour être remplacés par des réseaux qui sont davantage légitimes.
Ainsi, ces considérations m’amènent à penser qu’un jour, qui n’est peut-être pas si lointain, le Bitcoin n’aura plus aucune valeur car son réseau n’est en rien légitime. C’est pourquoi, il paraît raisonnable de demander la totalité des Bitcoin — finalement zéro — en échange de mon NFT, ou plutôt du secret qu’il porte !
Notez que pour les mêmes raisons, j’aurais pu demander la totalité des dollars en circulation, ou bien des euros, des yuans, des roupies ou des roubles... Cependant, en guise d’alternative, je préfère demander un seul Ğ1 symbolique, simplement parce que, selon les critères évoqués plus haut, cette monnaie est légitime.
On peut découvrir la monnaie Ğ1 ici.
La théorie des perspectives anoptiques et leurs critères de légitimité sont développée dans mon livre :
ANOPTIKON, une exploration de l’internet invisible, échapper à la main de Darwin, Fyp édition, 2019.
En vente sur le site de l’éditeur
